1 juillet 2012

Hommage à Marc Jeannerod, par Maurice Sadoulet

Par rbp

Marc_Jeannerod_In_memoriam_MauriceSadoulet_2012.pdf
Jeannerod et l’interdisciplinarité

Maurice Sadoulet, ingénieur

Ma première rencontre avec le professeur Jeannerod a eu lieu en 1988 au colloque organisé par la Bibliothèque Municipale de Lyon sur « La nature de la pensée ». Nouveau retraité, je venais de choisir les « sciences cognitives » (alors toutes récentes en France) comme centre d’intérêt. La clarté et la modération de l’exposé de Marc Jeannerod sur l’anatomie fonctionnelle du cerveau m’ont impressionné. Je l’ai donc suivi autant que je le pouvais dans ses conférences publiques, puis avec le groupe d’échanges Lyon/Grenoble dont il a soutenu la création et le développement. Ces rencontres et la lecture de ses ouvrages m’ont définitivement persuadé de la grande qualité de ses travaux scientifiques. L’ouverture en 1998 de l’Institut des Sciences Cognitives (ISC), dont il a été le premier directeur, m’a permis, comme « auditeur libre », d’en suivre les conférences hebdomadaires et de découvrir un autre aspect de sa personnalité. Marc Jeannerod était aussi un véritable animateur. Le climat de liberté, la facilité des échanges, le style des relations entre les chercheurs, la joie, pour tout dire, qui régnait à l’ISC, étaient pour moi une découverte. Je voyais enfin en application une véritable interdisciplinarité, ce qui me changeait des exposés académiques plus ou moins compassés ou sourdement conflictuels organisés en d’autres lieux. Quelques détails : il y avait alors à l’ISC près de 100 étudiants et professeurs de toutes nationalités, répartis en une dizaine d’équipes. Chaque sujet était généralement traité par deux intervenants de deux disciplines différentes. Les débats étaient libres et (très) animés. Le directeur était souvent présent et participait à la discussion. On le rencontrait donc facilement dans les couloirs et il s’arrêtait volontiers pour un moment de conversation.

Ce n’est que plus tard que j’ai appris comment il avait acquis ce savoir faire. Un article de lui dans Pour la Science (N° 361 Novembre 2007, intitulé « Les clés du cerveau ») l’explique fort bien. Dans les années 70 Marc Jeannerod était en formation aux Etats Unis. Voici ce qu’il nous en dit : « Je fréquentais alors un des rares centres où se développait cette recherche à contre-courant , le Département de psychologie et de sciences du cerveau (Department of psychology and brain science) du MIT, l’Institut de technologie du Massachusetts, à Cambridge, aux Etats-Unis. Son directeur, le psychologue Hans-Lukas Teuber, en avait fait en quelques années un pôle d’attraction pour tous ceux qui s’intéressaient aux fondements cérébraux de la cognition et du comportement. La recette de H.-L. Teuber consistait à faire voisiner dans le même bâtiment des équipes de chercheurs de haut niveau, anatomistes et physiologistes, psychologues étudiant l’homme et psychologues travaillant sur l’animal. Lui-même mettait en pratique un concept personnel de « pluridisciplinarité dans la même tête » (la sienne) qui lui permettait d’établir les communications dans son groupe et de donner une cohérence à l’ensemble. « Nous voyons là en effet la « recette » de l’ISC comme le remarque également Jean Didier Vincent dans la préface de « La fabrique des idées » : »De tous les élèves de Teuber, Marc Jeannerod est probablement celui qui a le mieux poursuivi son œuvre ».

Mais il n’a pas fait que suivre un exemple. Il avait certainement une disposition naturelle à nouer des relations de confiance avec les personnes, même quand il était en désaccord technique avec elles. Notre groupe l’a entendu une fois en dialogue « musclé » avec son ami le psychanalyste Jacques Hochmann. C’était impressionnant. Ils ont d’ailleurs publié un ouvrage en commun !
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Le 13 Novembre 2010 j’ai eu le privilège de l’accompagner en voiture de Lyon à Grenoble pour ce qui a dû être une de ses dernières sorties. Mais, bien sûr, nous n’en savions rien. Il venait dans notre groupe répondre à nos questions après la lecture programmée de son livre « Le cerveau volontaire ». Il a été, ce jour là, particulièrement brillant ! Nous avons perdu un maître, un ami et un modèle de tolérance et d’ouverture.

Maurice Sadoulet. Lyon le 15 Janvier 2012