L’humain aux frontières
L’équipe de recherche « L’humain aux frontières » de l’Université Catholique de Lille, organise le 10 juin 2008 un colloque d’une journée sur le thème :
« L’humain à ses frontières : l’ère du flou »
Pour favoriser les échanges, les exposés seront concis (20 mn maximum) et relèveront de plusieurs disciplines (sciences, philosophie, théologie).
La journée commencera par une introduction de la problématique, et s’achèvera par un échange sur les différentes suites à donner à cette recherche (renouvellement annuel du colloque, publication, collaborations entre équipes de recherche, etc.)
La journée est ouverte à tout chercheur intéressé par cette thématique.
Si vous souhaitez proposer une contribution écrite et/ou orale, merci de vous adresser à Jean-Baptiste Lecuit (Faculté de Théologie 60, boulevard Vauban 59016 Lille Cedex jblecuit@nordnet.fr)
Vous trouverez ci-dessous l’argumentaire de ce colloque
1. La reconnaissance des frontières de l’humain est plus que jamais soumise à l’incertitude : la paléoanthropologie met au jour la coexistence passée de différentes espèces d’hommes ; la biologie moléculaire montre la grande proximité génétique de l’être humain avec les primates supérieurs ; l’éthologie découvre que l’outil, l’arme ou l’existence de traditions culturelles ne peuvent plus être considérées comme lui étant propres ; les neurosciences tendent à réduire la raison, si longtemps reconnue comme sa marque spécifique, au fonctionnement du cerveau ; les technologies de pointe reconfigurent ses frontières avec l’animal et la machine.
Ces bouleversements s’accompagnent d’interrogations éthiques et juridiques nouvelles, qu’ils contribuent à susciter : ne faudrait-il pas reconnaître un droit des animaux ? Un droit à l’avortement thérapeutique ou à l’euthanasie ? À la manipulation et aux expérimentations génétiques ? Au clonage, à la fabrication de chimères ou d’hybrides homme-machine ? Quant à la frontière entre l’humain et la transcendance éthique ou religieuse, elle est l’objet de conceptions et revendications de toute sorte, entre la contestation et la réaffirmation les plus radicales.
2. La complexité de la situation est encore accrue par le conflit des interprétations concernant ces déplacements de frontières entre l’humain et son autre : l’infra ou le supra-humain, le pré- ou le posthumain, l’inhumain ou le « contre l’humanité ». Et ce débat est à son tour redoublé par celui portant sur l’élucidation des causes et des enjeux de cette crise d’identité.
3. Si nous manquons sans doute du recul suffisant pour la penser avec toute la profondeur souhaitable, la nécessité d’éclairer l’action sur les plans éthique, sociologique, économique, juridique, politique, religieux, invite les représentants des disciplines concernées à relever dès maintenant le défi d’une approche interdisciplinaire des questions essentielles posées par les reconfigurations contemporaines des frontières de l’humain.
Le terme de frontière pose déjà en soi une problématique. Au niveau du macrocosme, nous savons conceptualiser une réalité intermédiaire entre les eaux d’une rivière et l’élément solide qui constitue le sol. Mais au niveau microscopique, dans le cadre de la mécanique ondulatoire par exemple, nous sommes incapables de concevoir une frontière éventuelle entre un ensemble de corpuscules et un ensemble constitué par des ondes. Il y a comme un phénomène de superposition.
Si l’on raisonne dans le cadre de la topologie mathématique, alors les choses se compliquent lorsque l’on sort de l’espace euclidien classique. Ainsi on est obligé de créer le terme d’adhérence suivant des critères pris dans la logique formelle et non dans le cadre de l’observation. Moyennant quoi, la frontière entre l’ensemble des nombres rationnels et l’ensemble des nombres irrationnels est un ensemble plus vaste : celui des nombres réels. C’est qu’intervient pour moi, la notion de « flou » qui résulte des limites de notre langage. Nous ne connaissons rien de la réalité qui nous entoure, mais ce que nous savons faire très bien est d’établir des rapports entre les choses, et pour cela nous avons besoin essentiellement des mathématiques.
Le thème concernant « les frontières de la connaissance », comme on le verra, repose sur l’unité de la psyché. Un cloisonnement entre les diverses formes de connaissance est de plus en plus handicapant pour l’homme s’il désire découvrir le sens de notre vie et de notre Univers. On s’est souvent contenté par exemple d’une position de raison selon laquelle la science s’occupe du comment dans l’organisation de toute chose et la religion du pourquoi dans l’existence de toute chose. Au début de la Genèse il est écrit : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». On rencontre dans l’étude de l’astrophysique, la notion de « trou noir » ; il s’agit d’une portion de l’espace où la densité de matière est telle qu’aucune lumière ne peut s’échapper en raison de la courbure de l’espace et de la stupéfiante force de gravitation. La lecture de l’Ancien Testament fait un peu penser à ce phénomène de trou noir en raison justement de la densité du message et de son ésotérisme. N’est-il donc pas possible alors de briser la coque du fruit afin d’en faire jaillir une parcelle de lumière ? En fait la coexistence de ces deux réalités : Terre et Ciel pose le problème de la transcendance. Les diverses conceptions qu’on en a dépendent de l’idée que l’on peut avoir à propos des positions relatives de notre terre à nous et de notre ciel à nous. Nous entrons par là même dans l’univers de la philosophie.
La science et je veux parler des sciences dures : mathématiques et physique, ne constitue pas seulement le support des techniques les plus diverses. Elle ouvre sur le mystère de notre condition d’homme et fournit des modèles utilisables dans l’activité de notre pensée rationnelle. Notre esprit n’accède pas directement à la nature des réalités et encore moins à leur essence ; l’explication du monde se nourrit de constructions intellectuelles qui met en évidence le jeu subtil de toutes les relations existantes au sein du monde visible et le rôle unificateur des « archétypes » de l’humanité. Notre psyché s’organise comme une sorte de filtre qui ne laisse passer qu’un minimum d’informations capable d’être analysé pour concevoir notre monde dans son aspect global. Parmi les archétypes les plus intéressants, il y a la « dualité », celle que décrit par exemple la célèbre théorie du yin et du yang et celle aussi qui nous parle de l’existence du bien et du mal.
Ici se croisent donc l’histoire biblique et l’enseignement des mathématiques situé au niveau de l’algèbre linéaire. Cette même algèbre nous procure des modèles qui vont faire comprendre que beaucoup de choses se conçoivent par le jeu des analogies ou plus précisément des homologies.. On découvre alors la notion importante d’isomorphisme et on l’appliquera à la compréhension d’un univers construit à partir des quatre grands principes : l’air, l’eau, la terre et le feu, comme l’a conçu Bachelard dans son œuvre faisant intervenir la poésie.
A cela viennent s’ajouter les symboles qui prennent leur place au centre de la vie imaginative. Ils permettent à l’homme de déchiffrer ce que la raison seule ne livre à son regard. Une grande place est faite au symbolisme afin de s’élever au-dessus du seul plan horizontal contenant nos seules réalités matérielles, politiques, économiques et ludiques. Le monde des symboles ouvrent l’esprit sur la métaphysique et organise le monde suivant un tracé ascendant. C’est ainsi que l’on devient plus sensible à ce qui constitue notre relation au grand Mystère de nos origines. C’est ainsi que l’on comprendra de manière moins enfantine ou caricaturale, le contenu les Livres Saints qui, malgré la violence et le tragique, s’adresse avant tout à la profondeur de l’âme humaine.
Cet exposé est aussi un travail de fond qui pose quelques problématiques essentielles à notre époque. D’abord celle de la religion et de la foi : Les idéologies dans leur ensemble ont été remise en cause, à tort ou à raison, par un certain nombre de philosophes dont l’influence s’est exercée jusque dans la littérature actuelle. Citons à ce propos les ouvrages de Michel Onfray et de Luc Ferry. En réalité pour moi, un certain christianisme est à redéfinir, qui se fonde sur une dialectique tenant en compte à la fois des réalités bibliques et évangéliques et des réalités de la personne humaine. Il faut effectivement rejeter catégoriquement toutes les formes de fondamentalismes dont le but est la domination des esprits et non le salut de l’homme dans l’ouverture et l’épanouissement.
Depuis quelques années, des scientifiques ont cru légitime de donner leurs avis sur certaines corrélations existant entre religions et sciences. Ce phénomène nouveau apporte certes une ouverture sur le monde de la psychologie des profondeurs qui met en évidence le fait que l’homme est avant tout un être complexe. Cependant tous les scientifiques n’ont pas la même approche des problèmes, surtout en raison de l’attrait procuré par les philosophie d’origine extrême orientale. La vision de la transcendance doit être à mon sens débarrassé de toute trace de panthéisme ou plus encore de syncrétisme portant sur des connaissances les plus diverses , un des fléaux de notre époque : le New Age ! Il existe aussi les conflits que se livrent Créationnistes et Evolutionnistes. J’ai voulu apporter dans ce cadre de la connaissance, une idée selon laquelle on peut parler de superposition de deux réalités : l’une d’origine biologique, l’autre d’origine divine, tout en reconnaissant que cette grandiose manifestation de la nature humaine demeurera à jamais un profond mystère que la science ne peut dévoiler.
Dans mon exposé, je fais largement usage d’une partie de la philosophie qu’on appelle « épistémologie » ou philosophie des sciences. L’intérêt de ce choix réside dans le fait indubitable que les sciences, et en particulier les mathématiques,
fournissent de puissants modèles qui ont un éminent rôle de repères rigoureux dans la description et l’utilisation des concepts et des notions. Ainsi la notion de dualité, que l’on retrouve en mathématiques, possède un caractère universel dont l’étude permet de prendre conscience et de comprendre un peu mieux les structures complexes de notre monde y compris le monde mystérieux des faits et événements bibliques. La dualité y règne en maître dans la mesure où les mots les plus importants recouvrent deux réalités de sens opposés. Ainsi l’eau est source de vie aussi bien que source de mort ! Il s’agit là d’une loi universelle qui fait que, dans la vie courante, l’homme se trouve souvent confronté à des choix, à des décisions, à des problèmes sans solution. Dans tous les cas il est appelé à recourir, en toute liberté, à la miséricorde d’un Dieu qui s’est incarné dans l’humanité.
Aussi ai-je voulu insister sur cette vérité selon laquelle la métaphore : « Ciel » représente la réunification des contraires à travers l’œuvre de Jésus qui apporte l’amour, la paix, la réconciliation, sa grâce et son pardon. Cette œuvre divine dont le point central est la Rédemption a été précédée de l’histoire d’un peuple, celui d’Israël., à partir du récit de la Création jusqu’à la crucifixion ; et cette histoire étrange préfigure les faits que nous livre le Nouveau Testament.
Je montre qu’il existe une lecture de la Bible qui s’inspire à la fois de Bachelard, dont on connaît la poésie reposant sur l’exploitation intellectuelle de la théorie des Quatre éléments, et de Pascal dans une œuvre dont on reconnaît les profondes convictions dans le cadre de la foi chrétienne.