Hommes d’Eglise et science au 18ème siècle, un livre d’Olivier Perru
L’intuition qui a présidé à la rédaction de ce livre porte sur le rôle joué par les hommes d’Eglise dans le progrès et la diffusion des Sciences et dans le développement d’une pensée philosophique et chrétienne sur la Raison et les Sciences, à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle. Les oratoriens Nicolas Malebranche et Bernard Lamy ont contribué en leur temps à lever les obstacles de la moralisation du savoir et de la distance entre Science et Foi. Ce qui préside alors à l’intégration des Sciences dans une nouvelle culture, c’est une vision unitaire de l’homme intégrant étude, action, référence à la Foi. Chez Fénelon et Pluche, ou même avec l’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac, on se situe dans une démarche semblable qui inaugure l’apologétique ; les Sciences de la Nature servent à valoriser l’harmonie de la création et donc l’action du Créateur. Au fond, l’accord préétabli entre Science et Foi dominerait, la Science explicitant des aspects peu connus de la Nature et de l’Homme et aidant à montrer l’existence d’un Dieu Créateur sans qu’il y ait de difficultés ni d’opposition.
Si on trouve cet esprit de pratique de la Science en accord avec la Foi dans la première moitié du XVIIIe siècle, dans une perspective souvent malebranchiste, tout va changer après 1750. Les Lumières se fondent sur des philosophies dont elles ont évacué les références chrétiennes et elles sont centrées sur la Raison humaine, au mieux dans le cadre d’une théologie naturelle souvent déiste. Les querelles entre clercs, philosophes et hommes de Science, se font plus vives et fréquentes. L’oratorien Lelarge de Lignac, lié à Réaumur, s’oppose à Buffon sur sa vision de la Nature et de l’origine de l’homme. Sans vouloir généraliser, la mentalité des clercs et les thèses de leurs ouvrages deviennent souvent défensives, ce qui n’était pas le cas cinquante ans auparavant. Un anti-naturalisme se fait jour. Parmi les livres caractéristiques de cette attitude intellectuelle, on peut citer la Réfutation du Système de la Nature de l’abbé Bergier (1772) et le Cours complet de Métaphysique de Para du Phanjas (1779).
En parcourant le XVIIIe siècle, tout est loin d’être négatif dans le rapport entre Eglise et Science. Des hommes d’Eglise contribuent nettement au progrès des Sciences, certains ont laissé un nom célèbre, comme l’abbé Nollet. Ils excellent dans les applications des Sciences et Techniques et également dans la diffusion et l’enseignement des connaissances scientifiques. Si au début du siècle, Bougeant, Grozelier, Regnault diffusent les progrès des Sciences de la Nature, de nombreux ecclésiastiques vont ensuite produire et vulgariser des techniques en vue d’aider au développement socioéconomique de leur région, de ceux qu’ils côtoient quotidiennement. L’abbé Pierre-Augustin Boissier de Sauvages en est un exemple dans le contexte languedocien. Cependant jusqu’à la Révolution, d’autres clercs continueront à produire des travaux académiques de valeur. Après 1789, quelques abbés se reconvertissent dans des carrières scientifiques, c’est le cas de René-Just Haüy et de Pierre-André Latreille qui vont devenir des savants renommés de la période napoléonienne. Globalement vers 1780 et a fortiori après la Révolution, les contributions des hommes d’Eglise à l’avancement des Sciences en France deviendront de moins en moins significatives. Les changements institutionnels ne sont pas seuls responsables de cet état de fait, un certain désintérêt des clercs pour la vie intellectuelle est manifeste, sauf dans l’enseignement et dans la défense de la vision chrétienne du monde.